L’objectif du supplément no 1 est de présenter une vue d’ensemble des dix questions les plus souvent posées et des défis dans le domaine de l’obésité. Ce numéro est structuré sous forme de courtes questions et réponses pour permettre au lecteur de repérer rapidement les domaines de besoin ou d’intérêt tout en traitant d’une grande variété de thèmes axés sur l’évaluation et la physiopathologie de l’obésité ainsi que les obstacles à la réussite d’un traitement (voir les détails ci-dessous). Chaque question comporte un objectif d’application des connaissances sur un sujet précis.
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La Dre Megha Poddar est endocrinologue et spécialiste de la médecine de l'obésité à Toronto, en Ontario. Elle est diplomate de l'American Board of Obesity Medicine depuis 2016 et est professeure adjointe (auxiliaire) au département de médecine de l'Université McMaster.
Elle a une approche multidisciplinaire et en équipe de la prise en charge de l'obésité qui englobe les 3 modalités de traitements, notamment le conseil comportemental, les médicaments et les traitements chirurgicaux. Le Dr Poddar est la directrice clinique du programme de gestion du poids du LMC et la directrice médicale du Medical Weight Management Centre of Canada (MWMCC), qui propose un traitement comportemental et médical de l'obésité fondé sur des preuves.
La Dre Poddar est l'auteure principale de plusieurs ressources pour l'enseignement de l'obésité, y compris la section sur l'obésité du manuel de médecine interne de McMaster, et elle est coauteure du chapitre sur l'évaluation des Lignes directrices canadiennes 2020 pour la pratique clinique de l'obésité chez les adultes. Elle est également chercheuse principale dans des essais contrôlés randomisés sur le diabète de type 2 et l'obésité. Elle est un mentor pour la gestion de l'obésité et le développement clinique pour les prestataires de soins de santé à l'échelle nationale et internationale et se passionne pour la défense des patients vivant avec l'obésité.
Le Dr Maria Tiboni est interniste-hospitalière et spécialiste de l'obésité. Elle a été nommée professeur associé au département de médecine de l'Université McMaster. Le Dr Tiboni siège au conseil consultatif de l'Ontario pour l'Ontario Bariatric Network et est diplomate de l'American Board of Obesity Medicine.
Le Dr Tiboni est le responsable médical du Centre d'excellence bariatrique du St Josephs Health Care à Hamilton, en Ontario, depuis sa création. Elle se concentre principalement sur les soins périopératoires des patients subissant une chirurgie métabolique, notamment la sélection des patients, l'optimisation préopératoire, les soins postopératoires et la gestion des complications médicales survenant à la suite de chirurgies métaboliques.
Le Dr Tiboni est passionnée par l'enseignement et l'éducation. Elle est directrice du programme de bourses de recherche en chirurgie métabolique et bariatrique de l'Université McMaster. Le Dr Tiboni participe activement à la recherche dans le domaine de l'obésité et est un ardent défenseur des patients souffrant d'obésité.
(Objectif: connaître la prévalence de l’obésité et le fardeau des coûts pour le système de soins de santé)
Des données recueillies en 2018 sur la taille et le poids montrent que 26,8% des adultes canadiens sont obèses et qu’une proportion supplémentaire de 36,3% est considérée comme faisant de l’embonpoint. Ainsi, la plupart des Canadiens, soit 63,1% d’entre eux, montrent un surplus de poids. Malheureusement, il s’agit d’un problème de santé chronique qui, à l’heure actuelle, est encore sous-diagnostiqué et sous-traité. La plupart des fournisseurs de soins de santé comprennent que l’obésité peut être à l’origine d’affections comorbides multiples qui grugent la majeure partie de leur temps en consultation externe (p. ex., maladie métabolique, arthrose, cancer, etc.); toutefois, beaucoup considèrent encore l’obésité comme n’étant qu’un simple facteur de risque de ces autres affections et non comme une maladie chronique en elle-même. Cela entraîne un manque d’accès à un traitement fondé sur des données probantes et un manque de soutien à cette population de patients.
Beaucoup de fournisseurs de soins de santé ne se sentent pas suffisamment outillés pour traiter l’obésité en raison du manque de temps, de formation et de financement. On constate encore beaucoup de préjugés et de stigmatisation dans le domaine de l’obésité, où les patients et les fournisseurs de soins croient toujours qu’il s’agit d’un problème lié au « mode de vie » qui devrait être traité seulement en apportant des changements à l’alimentation et en faisant de l’exercice. Une étude examinant les attitudes envers l’obésité menée chez plus de 2500 Canadiens, dont des personnes vivant avec l’obésité, des fournisseurs de soins et des employeurs (étude ACTION), montre que 72% des fournisseurs de soins estiment que les patients atteints d’obésité ne sont pas motivés à gérer leur poids, tandis que 83% des personnes atteintes d’obésité estiment que le système de soins de santé n’est pas organisé pour répondre à leurs besoins. Il s’agit d’un appel à l’action et d’une des raisons pour lesquelles ce supplément a été rédigé. Pour améliorer l’accès au traitement et soutenir les Canadiens vivant avec l’obésité, il est important de comprendre les traitements fondés sur des données probantes offerts, de fournir ce traitement dans un milieu exempt de préjugés et de plaider en faveur de l’amélioration des ressources offertes aux patients.
On estime que l’obésité coûte chaque année de 4,6 à 7,1 milliards de dollars à l’économie canadienne, sur la base d’une évaluation des coûts des maladies chroniques courantes qui sont systématiquement liées à l’obésité. Ces coûts comprennent non seulement les fonds affectés aux soins de santé, mais aussi ceux liés aux taux plus élevés d’absentéisme au travail, aux taux plus élevés d’incapacité et aux taux plus élevés d’affections comorbides multiples, entraînant une augmentation des coûts en soins de santé et une fréquence accrue des hospitalisations. Il est bien établi que de traiter l’obésité, surtout dans les premiers stades de la maladie, serait avantageux sur le plan économique pour ce qui est des conséquences de la plupart des autres maladies chroniques ainsi que sur les plans de la qualité de vie et de la longévité.
(Objectif: comprendre le système de classification de l’obésité EOSS [Edmonton Obesity Staging System], l’utilité du tour de taille et les inconvénients de l’IMC)
Un diagnostic médical de l’obésité est défini comme étant une surcharge pondérale qui nuit à la santé physique, psychologique et métabolique d’une personne, entraînant une augmentation de la morbidité et une diminution de l’espérance de vie. Traditionnellement, le diagnostic de l’obésité reposait sur l’indice de masse corporelle (IMC), qui est calculé en divisant le poids d’un individu par le carré de sa taille (poids/taille2). À l’aide des critères de l’IMC, l’embonpoint est défini par un IMC supérieur à 30, et l’obésité se divise en plusieurs classes reposant sur l’ampleur du surplus de poids: classe I (IMC de 30 à 34,9), classe II (IMC de 35 à 39,9) et classe III (IMC supérieur à 40). Il est important de noter que le terme « obésité morbide » n’est plus utilisé pour définir la gravité de l’obésité en raison de la résonance négative que peut avoir cette terminologie. Un IMC élevé prédit une augmentation de la morbidité et de la mortalité à l’échelle des populations et est encore utilisé comme diagnostic principal et critère d’inclusion pour l’obésité dans la plupart des études de recherche. Il est également utilisé comme critère clinique pour l’administration d’un traitement en particulier, par exemple, l’IMC doit être supérieur à 40 pour orienter le patient vers la chirurgie bariatrique ou supérieur à 35 s’il est atteint d’affections comorbides liées au poids.
Ces dernières années, on reconnaît de plus en plus les limites de l’IMC utilisé seul pour diagnostiquer l’obésité chez les patients. L’utilisation exclusive d’une mesure fondée sur le poids ne décrit pas adéquatement l’effet de l’excès d’adiposité sur la santé du patient. Ce constat a conduit à la création du système de classification de l’obésité EOSS (Edmonton Obesity Staging System) qui prend en considération les affections comorbides liées au poids dans la définition de la gravité de l’obésité. Ce système de classification s’est révélé un meilleur prédicteur de la mortalité que l’IMC seul. Il s’agit également d’une mesure clinique très utile pour mieux comprendre l’ampleur des répercussions du poids sur la santé physique et mentale globale des patients. Un exemple de lacune de l’IMC est lorsqu’il est utilisé chez des individus présentant une masse musculaire maigre élevée (p. ex., joueur de football). Comme leur poids corporel est plus élevé, leur IMC se situera sûrement dans la classe II ou III; toutefois, leur fréquence de maladie métabolique et leur score selon l’EOSS seront probablement beaucoup plus faibles que ceux d’une personne présentant un IMC plus faible, mais dont le mode de vie est sédentaire et le tour de taille et le score selon l’EOSS sont plus élevés. On recommanderait un traitement contre l’obésité dans ce dernier cas plutôt que dans le cas initial, même si l’IMC de ces patients est plus élevé. Enfin, il est important de noter que les critères traditionnels de l’IMC relatifs à l’obésité ne reflètent pas exactement le risque pour la santé chez de nombreuses ethnies. Par exemple, chez les patients d’ethnicité asiatique (Asie du Sud, Asie du Sud-Est ou Extrême--Orient), le risque de complications métaboliques est plus élevé à un IMC beaucoup plus faible (voir le tableau 1 ci-dessous).
Tableau 1. Recommended Classification of BMI45,53
Category | BMI (kg/m2) |
---|---|
Caucasian, Europid and North American ethnicity45 | |
Underweight | <18.5 |
Normal (healthy weight) | 18.5–24.9 |
Overweight | 25–29.9 |
Obesity Class 1 | 30–34.9 |
Obesity Class 2 | 35–39.9 |
Obesity Class 3 | 40–49.9 |
Obesity Class 4 | 50–59.9 |
Obesity Class 5 | >60 |
South-, Southeast- or East Asian ethnicity53 | |
Underweight | <18.5 |
Normal range | 18.5–22.9 |
Overweight—At risk | 23–24.9 |
Overweight—Moderate risk | 25–29.9 |
Overweight—Severe risk | >30 |
Rueda-Clausen CF, Poddar M, Lear SA, Poirier P, Sharma AM. Canadian Adult Obesity Clinical Practice Guidelines: Assessment of People Living with Obesity.
Pour évaluer l’adiposité abdominale, le tour de taille est un autre outil pouvant être combiné à l’IMC pour mieux élucider l’ampleur du risque cardiovasculaire chez le patient atteint d’obésité. Le tour de taille devrait être mesuré de manière uniforme pour que la mesure soit précise tout au long des consultations de suivi. En général, on considère qu’un tour de taille supérieur à 102 cm chez l’homme et égal ou supérieur à 88 cm chez la femme indique la présence d’un taux plus élevé d’adiposité viscérale et d’un risque cardiovasculaire, ce qui peut être particulièrement utile pour les personnes chez qui l’IMC est plus faible. En plus de l’IMC, l’utilisation de l’outil EOSS et les mesures du tour de taille facilitent le dépistage des patients présentant un risque plus élevé de conséquences métaboliques négatives liées à l’obésité et qui sont plus susceptibles de tirer profit d’un traitement contre l’obésité.
En général, on recommande d’utiliser les trois critères cliniques suivants, soit l’IMC, le score selon l’EOSS et le tour de taille, pour diagnostiquer l’obésité, comprendre sa gravité et aider à établir le plan thérapeutique le plus efficace de concert avec le patient.
(Objectif: dépister les affections comorbides, traitement direct − outil EOSS)
L’évaluation du risque des patients vivant avec l’obésité devrait commencer par une anamnèse détaillée visant à élucider les facteurs qui contribuent à l’excès d’adiposité, de même que les répercussions possibles de l’obésité sur la santé physique et mentale. Le dépistage des affections liées à l’obésité, comme le diabète de type 2, l’hypertension, la dyslipidémie, l’apnée obstructive, les troubles de l’humeur, les cancers liés au poids et l’arthrose, devrait être entrepris en combinant l’anamnèse, l’examen physique et les analyses de laboratoire. En évaluant le stade EOSS du patient, le clinicien traitant pourra aussi cerner des volets ciblés du traitement qui vont au-delà de la perte de poids. Par exemple, en présence d’un diagnostic d’hypertension, abaisser la pression artérielle pour atteindre les valeurs cibles constituerait un objectif thérapeutique clé. Il est important de veiller à ce que l’évaluation de l’obésité s’effectue avec tact et que l’environnement de la clinique soit propice au soin des personnes corpulentes. Des brassards de tensiomètre et des chemises d’hôpital de taille appropriée, des pèse-personnes bariatriques et des sièges appropriés devraient être accessibles.
Étant donné que l’excès d’adiposité peut avoir des répercussions considérables sur la santé humaine, procéder à un dépistage minutieux des affections comorbides liées au poids peut sembler une tâche énorme. Le cadre des 4 M (santé mentale, facteurs mécaniques, métaboliques et monétaires) est un outil d’évaluation structurée qui fournit un cadre pour évaluer les facteurs qui contribuent à l’obésité, de même que les obstacles au traitement et les complications de cette affection. En pratique, effectuer une évaluation complète de l’obésité peut nécessiter de multiples consultations. Une synthèse détaillée de l’évaluation de l’obésité se trouve dans les Lignes directrices canadiennes de pratique clinique de l’obésité chez l’adulte de 2020.
(Objectifs: définir l’obésité en tant que maladie chronique, réviser la physiopathologie, y compris les voies homéostatique et mésolimbique de la récompense et réviser les causes de l’obésité, dont la prédisposition génétique)
L’obésité est une maladie chronique complexe causée par une combinaison de facteurs génétiques, métaboliques, neurocomportementaux et environnementaux; il ne s’agit pas d’un choix. La définition de l’obésité est l’accumulation anormale ou excessive d’adiposité qui nuit à la santé, entraîne des problèmes métaboliques, mécaniques et psychosociaux et diminue l’espérance de vie. Comme tout processus morbide, l’obésité présente des symptômes (augmentation de l’appétit et appétit insatiable), des signes (excès d’adiposité), une physiopathologie (bilan énergétique anormal en raison d’une modification de la signalisation au cerveau) et des complications (syndrome métabolique, diabète, hypertension, apnée du sommeil, etc.). Tout comme le mode de vie joue un rôle important dans l’apparition et le traitement d’autres maladies chroniques, telles que le diabète de type 2 ou l’hypertension, il ne s’agit que d’un aspect de l’obésité. L’augmentation de l’industrialisation de la société et des emplois sédentaires a commencé bien avant l’augmentation de la prévalence de l’obésité, et le nombre d’heures consacrées à des activités physiques pour le loisir est demeuré relativement stable. Par conséquent, bien que la diminution de l’activité physique puisse y contribuer, le principal facteur de l’augmentation de la prévalence de l’obésité est fort probablement attribuable à la confrontation entre la nature adaptative et régulatrice accrue de notre système de régulation de l’appétit et l’environnement alimentaire obésogène moderne. Le système neurohormonal qui régule l’appétit et la dépense énergétique s’est développé pour que l’on puisse survivre à de longues périodes de restriction alimentaire ou d’activité physique d’intensité élevée, comme dans les cas de famine ou de migration, et pour concurrencer d’autres comportements afin de motiver les gens à travailler pour obtenir des sources de nourriture optimales. Ainsi, la neurobiologie du contrôle de l’appétit et du bilan énergétique comprend des mécanismes qui résistent fortement à la perte de poids et faiblement à la prise de poids. Par ailleurs, des données probantes sur la contribution de la génétique à l’obésité, dont des études menées chez des jumeaux, montrent une transmissibilité héréditaire de l’IMC et des comportements alimentaires de 50% à 80%. La majorité des gènes associés au poids sont exprimés dans le système nerveux central et le système de régulation de l’appétit.
Le cerveau assure la régulation du poids par l’intermédiaire de trois systèmes: le système homéostatique, le système mésolimbique et le système de la fonction exécutive ou du lobe frontal (Figure 1). L’hypothalamus, ou le système homéostatique, surveille de près l’approvisionnement et le stockage énergétiques par l’intermédiaire d’interactions avec des hormones et des signaux nerveux provenant des organes périphériques. La perte de poids est détectée par l’hypothalamus et entraîne de multiples réactions de défense, dont une augmentation de l’appétit et une diminution de la dépense énergétique qui dépassent ce à quoi l’on s’attendrait pour la variation du poids et de la composition corporelle. La sécrétion des hormones neuroendocrines périphériques qui régulent la voie hypothalamique de la faim et de la satiété, comme le glucagon-like peptide-1 (GLP-1), la leptine et la ghréline, est modifiée par la perte de poids attribuable à une restriction calorique et à une augmentation de l’activité physique pour maintenir une « valeur de consigne » et augmenter l’appétit et diminuer la satiété physiologiquement. Ces changements dans la sécrétion des hormones périphériques qui régulent l’appétit et le métabolisme au repos favorisent la reprise de poids et peuvent persister pendant au moins six ans après la perte de poids. Les personnes atteintes d’obésité peuvent donc avoir beaucoup de difficulté à maintenir un poids corporel plus faible seulement par l’alimentation et l’exercice, et il s’agit de l’une des raisons fondamentales pour lesquelles l’obésité est une maladie chronique.
Figure 1. Régulation de l’appétit dans le cerveau.
Chetty VT, Poddar M, Tran S, Prebtani APH. Obesity: General Considerations. McMaster Textbook of Internal Medicine. Kraków: Medycyna Praktyczna. https://empendium.com/mcmtextbook/chapter/B31.II.24.4.1. site consulté le 8 novembre 2022.
L’hypothalamus interagit avec le palier suivant de la régulation de l’appétit dans le cerveau, soit le système mésolimbique de la récompense, pour influencer la volonté et la motivation envers la nourriture. La voie mésolimbique, qui prend naissance dans le système dopaminergique, est responsable de créer une pulsion vers la nourriture ou le « désir » de favoriser la survie. Chez la plupart des gens, ces facteurs sont de loin plus efficaces pour encourager un comportement, comme la recherche de nourriture, que la faim provenant de l’hypothalamus. Lorsque des aliments sont consommés, des signaux opioïdes et endocannabinoïdes sont libérés, créant une sensation de « plaisir ». Un conditionnement, ou un apprentissage par récompense, se produit lorsque l’on apparie un stimulus neutre, comme un moment de la journée ou une émotion, à une récompense, comme la nourriture. L’environnement lui-même devient un déclencheur de motivation à obtenir de la nourriture, ou « désir », par l’intermédiaire d’une libération de dopamine. L’exemple clinique le plus courant de cette voie est la description des fringales qui surviennent souvent le soir ou le rapport émotionnel à la nourriture. Chez les personnes sensibles, l’amplification du « désir » peut créer des changements durables relatifs à la motivation, même lorsque le « plaisir » provenant du stimulus n’est plus présent, et elle est une cause fréquente de la suralimentation. Cette affinité pour le plaisir et le désir est grandement influencée par la génétique. L’environnement alimentaire d’aujourd’hui produit également des aliments très agréables au goût et à haute densité calorique, déclenchant une activation plus importante de la voie mésolimbique de la récompense que les aliments non transformés. Par conséquent, l’utilisation de stratégies thérapeutiques, comme la thérapie cognitivo-comportementale, pour aider les patients à comprendre les voies de la récompense et leur rapport avec les comportements liés à la nourriture peut s’avérer un outil très efficace pour améliorer leurs comportements alimentaires et leur relation avec la nourriture.
Le cortex préfrontal, ou le système de la fonction exécutive, joue également un rôle dans le comportement alimentaire. Les choix cognitifs relatifs à quoi manger et à quel moment sont fortement modulés par les systèmes homéostatique et mésolimbique, lesquels sont subconscients. Dans des conditions environnementales optimales, il est possible de neutraliser ces puissants systèmes, mais de nombreux modulateurs comme le stress, les troubles du sommeil et les problèmes de santé mentale peuvent diminuer la capacité des lobes frontaux à neutraliser les envies impérieuses de rechercher le plaisir et peuvent renforcer les systèmes homéostatique de l’appétit et mésolimbique. Il est donc plus difficile pour les patients d’atteindre leurs objectifs comportementaux dans les moments difficiles. La thérapie cognitivo-comportementale et la pharmacothérapie sont des traitements qui peuvent aider à améliorer la capacité des patients à neutraliser ces signaux subconscients et à renforcer la capacité des lobes frontaux en vue d’atteindre les objectifs comportementaux prévus.
Le système de régulation de l’appétit s’est avéré suffisant pour réguler le poids corporel pendant la majeure partie de l’histoire de l’humanité, où le poids le plus élevé possible était gage de survie. Toutefois, ce système est en contradiction avec notre environnement obésogène moderne, en raison de l’accessibilité accrue à des aliments hypersavoureux et à haute densité calorique et à des messages omniprésents de consommation qui favorisent un bilan énergétique net positif. C’est la raison pour laquelle l’obésité est une maladie chronique, et des traitements appropriés qui ciblent cette physiopathologie sont nécessaires pour qu’un traitement efficace à long terme devienne une réalité.
Enfin, dire que l’obésité n’est qu’un simple problème lié au mode de vie renforce les attitudes négatives envers les personnes atteintes d’obésité et augmente la stigmatisation et les préjugés chez cette population déjà vulnérable. Les personnes atteintes d’obésité montrent un degré élevé (environ 60%) de préjugés intériorisés; elles croient que leur problème de poids est de leur faute et qu’elles n’ont qu’à redoubler d’efforts ou à être plus motivées pour atteindre leurs objectifs. On comprend maintenant que la pathologie de l’excès d’adiposité qui justifie le poids élevé enlève le contrôle à la personne et l’attribue à sa biologie, à ses hormones et à sa génétique. Renseigner le patient et lui expliquer la physiopathologie de l’obésité peuvent améliorer les résultats liés à la morbidité et à la mortalité, diminuer la stigmatisation et les préjugés et améliorer l’accès au traitement.
(Objectif: connaître l’approche des 5 A)
Adapté à partir de l’outil pour cesser de fumer, le cadre des 5 A est un outil clinique pratique qui peut être utilisé pour aborder la discussion, le diagnostic, l’évaluation et le traitement de l’obésité. Les 5 A sont: autorisation, analyse, avis, accord et aide (de l’anglais ask, assess, advise, agree et assist) (Figure 2).
Figure 2. Les 5 A de la prise en charge de l’obésité.
La première étape consiste à entamer une discussion avec le patient au sujet du surpoids ou de l’obésité en lui demandant l’autorisation de parler de poids. Une simple question comme « Me permettez-vous de parler de votre poids aujourd’hui? » invite à établir une relation thérapeutique et instaure un climat de confiance pour commencer à explorer la réceptivité du patient au changement. La demande d’autorisation devrait reposer sur les principes de l’entretien motivationnel qui visent à créer un environnement clinique ouvert et exempt de préjugés pour discuter d’obésité. La plupart des patients atteints d’obésité vivent avec des préjugés intériorisés et ont probablement connu une expérience négative liée à leur poids au cours de leur vie. On ne peut pas présumer qu’ils veulent discuter de traitement ou qu’ils sont disposés à le faire. Par conséquent, le fait de demander l’autorisation au patient est souvent perçu comme une introduction appréciée à l’évaluation de l’obésité plutôt que de déterminer que le traitement de l’obésité est ce dont le patient a besoin.
Une étude menée à grande échelle, l’étude ACTION, a examiné les croyances des personnes atteintes d’obésité et montre que ces patients aimeraient que leur médecin entame avec eux la discussion liée à l’obésité. Toutefois, les obstacles à la discussion sur la prise en charge de l’obésité sont souvent alimentés par le patient et le médecin. Il peut s’agir de contraintes de temps, d’une incertitude concernant le traitement, de faibles attentes par rapport aux résultats et du caractère délicat du sujet. Les messages de reproches et de honte ainsi que des conseils trop simplistes et inefficaces du genre « mangez moins et bougez plus » ne tiennent pas compte de la complexité de l’obésité et traitent ce problème de santé comme si c’était un choix de mode de vie. Avoir recours à une communication sensible et sans jugement au cours des premières conversations liées à l’obésité peut avoir des répercussions positives sur les résultats du patient. En cours de discussion sur l’obésité, le patient peut préférer des termes comme « poids » ou « IMC ». Pour le médecin, les lourdes charges de travail et les contraintes de temps en milieu clinique peuvent constituer des obstacles importants à l’amorce de la conversation. Toutefois, les patients se prennent de plus en plus en main et abordent souvent leur fournisseur de soins à la recherche d’un traitement. De plus, en raison des multiples affections comorbides liées au poids, la plupart des fournisseurs de soins de santé sont submergés par la gestion de toutes les complications liées au surplus de poids et oublient la gestion du poids lui-même. Recentrer le résultat sur le traitement de l’obésité elle-même constituerait probablement une stratégie populationnelle en matière de soins de santé plus efficiente et efficace. Il existe des traitements sûrs et efficaces contre l’obésité qui sont bien décrits dans les Lignes directrices canadiennes de pratique clinique de l’obésité chez l’adulte de 2020, et ces traitements peuvent être amorcés sans danger en milieu de soins primaires. Il est également possible de trouver des cliniques d’obésité pour adresser les patients vers un spécialiste grâce à un localisateur de cliniques se trouvant sur le site Web d’Obésité Canada (https://locator.obesitycanada.ca).
Après avoir demandé l’autorisation de parler d’obésité et exploré la réceptivité du patient au changement, la deuxième étape consiste à évaluer le patient (analyse) -(Figure 3). Il s’agit d’établir le diagnostic d’obésité et de cerner les causes de la prise de poids, les complications de l’obésité et les obstacles au traitement. Après avoir posé le diagnostic initial, la démarche systématique pour l’évaluation repose sur le cadre des 4 M: santé mentale et facteurs mécaniques, métaboliques et monétaires. L’utilisation de cet outil clinique aide le médecin à explorer de manière efficace les principaux facteurs à l’origine de la prise de poids, les obstacles au traitement et les complications liées à l’obésité.
Figure 3. Les 4 M de l’obésité.
L’EOSS peut être utilisé pour synthétiser cette information et analyser les répercussions de l’obésité sur la santé physique, mentale et fonctionnelle du patient et permet de déterminer le stade d’obésité (Figure 4). La stadification selon l’EOSS est un meilleur prédicteur de mortalité que l’IMC seul, car la corrélation est plus forte avec les répercussions du poids sur la santé globale des patients que seulement un calcul de poids et de taille. Il s’agit également d’un outil utile pour orienter les décisions relatives au traitement, car le patient se trouvant au stade 0 de l’obésité selon l’EOSS peut ne pas être d’avis que les risques de la chirurgie bariatrique l’emportent sur les bienfaits, même s’il satisfait les critères relatifs à l’IMC, et le traitement peut être axé davantage sur des objectifs comportementaux durables orientés sur le maintien de la santé plutôt que sur la perte de poids. Par ailleurs, l’analyse des valeurs peut aider à orienter le traitement et les objectifs qui sont importants pour le patient à long terme.
Figure 4. Système de classification de l’obésité EOSS (Edmonton Obesity Staging System).
La troisième étape (avis) consiste à discuter des risques pour la santé liés à l’obésité, des bienfaits d’une perte de poids modeste, de l’importance d’une stratégie à long terme et des options thérapeutiques. Renseigner le patient sur le fait que l’obésité est une maladie chronique avec des facteurs biologiques et environnementaux complexes est une étape importante pour combattre les préjugés intériorisés liés au poids et ouvrir la porte à un traitement efficace. La quatrième étape (accord) consiste à s’entendre sur les attentes, les objectifs de santé et de comportement à long terme dans le contexte des valeurs du patient. La dernière étape (aide) consiste à aider le patient à repérer les obstacles à la prise en charge de l’obésité, à avoir accès à des ressources et à des professionnels appropriés et à planifier un suivi régulier. Une synthèse complète de l’évaluation de l’obésité et un accès aux outils cliniques décrits ci-dessus se trouvent dans le chapitre consacré à l’évaluation dans les Lignes directrices canadiennes de pratique clinique de l’obésité chez l’adulte de 2020.
(Objectifs: examiner les répercussions des préjugés et de la stigmatisation en mettant l’accent sur les résultats du patient qui ne sont pas liés aux préjugés intériorisés et discuter de la façon d’évaluer ses propres préjugés [p. ex., test d’association implicite de Harvard] et de les atténuer.)
Les patients vivant avec l’obésité sont la cible de préjugés et de stigmatisation liés au poids dans de multiples facettes de leur vie. En tant que professionnel de la santé, le médecin doit savoir jusqu’à quel point les préjugés et la stigmatisation liés au poids sont profondément ancrés dans la société. Les préjugés liés au poids se définissent comme étant « des attitudes, des croyances, des suppositions et des jugements négatifs liés au poids à l’égard des personnes qui font de l’embonpoint ou sont atteints d’obésité ». La stigmatisation liée au poids fait référence à des actes et à des idéologies discriminatoires qui visent des individus en raison de leur poids et de leur taille. Essentiellement, la stigmatisation résulte des préjugés liés au poids. Les microagressions sont partout dans les médias et dans les relations interpersonnelles et peuvent occasionner des préjugés et de la stigmatisation liés au poids chez les patients, augmentant ainsi la probabilité que ces pensées et ces croyances s’intériorisent et nourrissent un discours intérieur négatif appelé également préjugé intériorisé. Lorsque les patients entendent des stéréotypes et des préjugés liés au poids, ils commencent à croire qu’ils reflètent exactement ce qu’ils sont. Ces préjugés intériorisés liés au poids peuvent avoir des répercussions profondes sur les patients et se manifester de différentes façons: augmentation de l’insatisfaction corporelle, faible estime de soi, détresse psychologique et aggravation des problèmes liés aux comportements alimentaires. Des données probantes solides montrent également que les préjugés intériorisés sont un prédicteur indépendant de résultats négatifs en matière de santé liés au traitement de l’obésité. Les patients ayant des préjugés intériorisés consultent souvent à un stade plus avancé de la maladie, présentent un nombre plus élevé d’affections comorbides et ont un faible taux de réponse au traitement. C’est ce que l’on remarque dans le milieu des soins de santé en général. Les patients atteints d’obésité et présentant des préjugés intériorisés se présentent moins souvent aux examens réguliers de dépistage du cancer ou aux examens physiques annuels. Le rôle du professionnel de la santé est d’aider les patients à comprendre ce que sont les préjugés et la stigmatisation liés au poids, de même que leurs répercussions sur l’image de soi et leur santé en général, et ce dans un environnement clinique exempt de préjugés.
Les patients ont souvent de la difficulté à mettre une étiquette aux préjugés et à la stigmatisation liés au poids auxquels ils sont confrontés, car ces microagressions sont généralement normales, surtout chez les patients qui ont des problèmes de poids depuis toujours; c’est ce qu’ils ont peut-être toujours connu. Les patients doivent être capables de cerner leurs propres préjugés pour comprendre la façon dont ils sont intériorisés et s’intègrent dans leur propre système de croyances et deviennent la vérité. Il est impératif d’aider les patients à mieux comprendre les préjugés sociaux et personnels et la stigmatisation liée au poids, car très souvent, les préjugés intériorisés liés au poids ont une incidence sur les attentes en matière de perte de poids, sur la définition d’une perte de poids réussie, de même que sur les options thérapeutiques que les patients sont prêts à explorer et à s’y conformer. Bien qu’il semble difficile d’aborder ce sujet d’une manière sensible afin que les patients se sentent en sécurité, la plupart d’entre eux sont prêts à discuter de poids et de stratégies de perte de poids. Les discussions devraient commencer par un examen de la complexité de cette maladie et la détermination des objectifs du patient. Souvent, les patients ne savent pas pourquoi ils ont constamment beaucoup de difficulté à maintenir une perte de poids à long terme, car ils ne sont pas conscients de la complexité de l’obésité en tant que maladie chronique. De nombreux patients ne savent pas à quel point les préjugés intériorisés liés au poids renforcent une lutte continue contre l’obésité, et portent toute leur attention sur une incapacité perçue à mettre en application les changements de comportement nécessaires à la perte de poids que l’on appelle impuissance acquise. Les patients mentionnent souvent une croyance selon laquelle si on y met suffisamment d’efforts, on peut atteindre n’importe quel poids désiré. On entend souvent les affirmations suivantes: « Je ne réussis pas à perdre du poids parce que je n’ai pas de courage » et « Je manque de volonté ». Très souvent, une croyance persiste parmi les patients selon laquelle pour réussir à perdre du poids, il faut restreindre fortement l’apport calorique. Même après avoir déjà essayé ce type de changement de comportement sans avoir réussi à maintenir une perte de poids à long terme, il est courant de vouloir revenir à ces comportements en se disant que cette fois-ci, ce sera différent si l’on y met plus d’effort. Ces croyances sont ancrées dans le modèle traditionnel de la régulation énergétique où « le nombre de calories absorbées égale le nombre de calories dépensées » et donc, si un patient ne fait que bouger plus et manger moins, il perdra du poids. Une vision plus actuelle de la régulation énergétique est que d’après la physiopathologie de l’obésité, l’organisme défend son poids le plus élevé et se protège CONTRE la perte de poids en guidant le comportement alimentaire du patient (quoi manger et la quantité) et en ralentissant son taux métabolique au repos.
Pour travailler auprès des patients vivant avec l’obésité, les fournisseurs de soins de santé doivent évaluer et comprendre leurs propres préjugés liés au poids, de même que reconnaître l’incidence de ces préjugés sur leur travail auprès des patients. Les fournisseurs de soins de santé vivent également au sein d’une société où persiste la croyance selon laquelle si certaines personnes font de l’embonpoint ou sont obèses, c’est bien de leur faute. Lorsque les patients sentent que leurs soins médicaux sont entachés de préjugés liés à leur poids, ils disent qu’ils se sentent exclus et non écoutés, et qu’on leur dit que leur besoin thérapeutique cerné est à cause de leur poids sans qu’il y ait une évaluation complète de leur problème de santé. En d’autres mots, les patients perçoivent qu’ils ne reçoivent pas le même niveau de soins qu’une personne qui ne vit pas avec l’obésité. Pour réduire ce type de préjugé, il est important de le comprendre. L’un des outils qui s’avère utile pour aider à cerner les préjugés liés au poids est le test d’association implicite pour les préjugés liés au poids (projet Implicit, https://www.obesitycompetencies.gwu.edu/article/388#) et les questions définies par le Rudd Centre qui ont pour but d’aider le fournisseur de soins de santé à comprendre ses propres préjugés liés au poids (Le Rudd Center for Food Policy and Obesity de l’Université Yale http://biastoolkit.uconnruddcenter.org/module3.html). L’une des parties les plus difficiles et exigeantes de ce processus est de faire preuve d’honnêteté au sujet de ses propres préjugés liés au poids. On peut éprouver un certain malaise; toutefois, être honnête envers soi-même conduit à un vrai changement.
Enfin, lors des consultations, il est important d’utiliser un langage centré sur la personne de manière à mettre l’accent sur le patient et à le séparer de sa maladie, par exemple, un « patient atteint d’obésité » au lieu d’une « personne obèse ». Pour le patient vivant avec l’obésité, les installations de la clinique font-elles en sorte qu’il se sente accueilli et accepté? A-t-il l’impression d’être à un endroit qui lui convient? Les patients ne devraient pas avoir à s’inquiéter de savoir s’ils seront capables de s’asseoir dans les chaises ou d’utiliser le matériel de la clinique à cause de leur poids (p. ex., brassards de tensiomètre). Pendant la consultation avec le patient, il est impératif d’intégrer des discussions et des stratégies pour remédier aux préjugés intériorisés liés au poids dans l’ensemble de l’environnement clinique. Les préjugés intériorisés liés au poids ne sont pas un sujet à aborder seulement lors d’une première consultation avec un nouveau médecin. Ce type d’enseignement devrait faire partie de chaque discussion avec le patient, être incorporé dans la documentation de la clinique et être uniforme dans l’ensemble des points de contact avec le patient (p. ex., personnel administratif). En ce qui concerne les traitements et les changements de comportement, les principes conformes à la perte et au deuil, la thérapie cognitivo-comportementale et la thérapie d’acceptation et d’engagement sont importants. Les stratégies devraient également concorder avec l’entretien motivationnel lorsqu’on évalue la réceptivité au changement. Le préjugé intériorisé lié au poids est un phénomène complexe qui peut avoir des répercussions profondes sur une personne vivant avec l’obésité, de même que sur son fournisseur de soins de santé. Il est impératif d’être conscients de ces préjugés et de prodiguer des soins aux patients vivant avec l’obésité de manière respectueuse et sans préjugés ni stigmatisation.
(Objectifs: établir des attentes réalistes pour les patients, connaître les avantages d’une perte de poids modeste [de 5% à 10%], être conscient de l’hétérogénéité dans la réponse au traitement)
Autrice: Andrea Millard Rédactrice principale: Maria Tiboni
La discussion sur les attentes en matière de perte de poids peut être très difficile avec les patients vivant avec l’obésité. Les attentes concernant le nombre de kilos qu’une personne veut perdre peuvent être influencées par de nombreux facteurs, dont le « poids idéal » du patient selon l’IMC, les objectifs de perte de poids établis lors de programmes amaigrissants antérieurs, le poids le plus faible qu’a déjà pesé le patient et le poids de membres de la famille ou d’amis. Parfois, le patient choisit un poids qui peut sembler arbitraire, mais qui est lié à une période de sa vie (p. ex., lorsque je me suis marié, avant de déménager, etc.). Quelle que soit l’attente en matière de perte de poids pour la personne vivant avec l’obésité, les Lignes directrices canadiennes de pratique clinique de l’obésité chez l’adulte reconnaissent qu’en raison de la complexité et des causes multifactorielles de l’obésité, la prise en charge de l’obésité doit moins se concentrer sur les objectifs axés sur le poids et plus sur l’amélioration de la santé et du bien-être général du patient. Bien que l’idée soit bonne en théorie, il peut être difficile pour le patient vivant avec l’obésité de faire en sorte que sa définition de la notion de réussite soit plus qu’un nombre sur le pèse-personne. Cette situation peut être liée directement à la présence des préjugés et de la stigmatisation liés au poids. Au cours des discussions avec le patient concernant les attentes en matière de perte de poids, il est très utile d’y incorporer des renseignements sur l’obésité en tant que maladie chronique, car ils peuvent aider à expliquer les raisons pour lesquelles le corps peut ne pas permettre d’atteindre un poids prédéterminé ou un poids « normal », surtout à long terme. Cela peut aider le patient à mieux comprendre la complexité du poids et pourquoi il a toujours du mal à parvenir à une perte de poids soutenue et à long terme.
Pour aider à favoriser l’acceptation relative au poids, il est important que le patient examine ses objectifs personnels et les raisons pour lesquelles il veut perdre du poids. Par exemple, le patient veut-il améliorer sa santé, réduire le risque d’apparition d’un nouveau problème de santé, augmenter sa mobilité ou améliorer sa qualité de vie? Il est important de déterminer et de comprendre ces objectifs et ces raisons de vouloir obtenir un traitement pour aider à rester motivé à long terme. Il est également important de discuter des différentes interventions et de la perte de poids attendue en moyenne pour chacune d’elles et du fait que la réponse à toute intervention (changements au mode de vie, médicaments, interventions chirurgicales) varie beaucoup d’une personne à l’autre.
Il peut être utile de revoir avec le patient qu’une perte de poids modeste de 5% à 10% peut entraîner des améliorations d’importance clinique. Une difficulté commune aux interventions chez les patients vivant avec l’obésité lorsqu’ils commencent à perdre du poids est de vouloir en perdre encore davantage. En pareil cas, le patient a tendance à oublier ce qui l’a motivé à perdre du poids au début de son engagement avec son fournisseur de soins de santé. Les fournisseurs de soins devraient revoir régulièrement avec le patient les raisons non liées au poids pour lesquelles il recherche un traitement conformément à son plan de prise en charge. Ce rappel du chemin parcouru et des progrès qu’il a réalisés vers l’atteinte de ses objectifs comportementaux peut aider à réduire la tendance à perdre sa motivation et à cesser le traitement. Il peut également arriver qu’un patient estime que sa perte de poids actuelle est insuffisante, et il peut se comparer aux autres. En pareil cas, il est utile de passer en revue les attentes en matière de perte de poids de l’intervention choisie et de rappeler au patient que la réponse au traitement peut varier d’une personne à l’autre. La perte de poids n’est pas aussi simple qu’un apport et une dépense de calories, ce qui veut dire que le parcours de chaque personne est différent et que nous devons soutenir le patient afin qu’il soit capable d’agir sur les choses qu’il peut contrôler et lui rappeler qu’en fait, son poids ne fait peut-être pas partie des choses sur lesquelles il peut exercer un contrôle. Les changements de comportement (bouger plus, améliorer ses habitudes alimentaires) sont un meilleur prédicteur de résultats sur la santé, comme la maladie cardiovasculaire, que la perte de poids seule. Au moment de définir la notion de réussite, il est important de s’assurer que le patient participe à la discussion et qu’il détermine ce que signifie pour lui un traitement réussi. Tout au long du traitement, il est important de rappeler au patient ses raisons initiales de vouloir perdre du poids et les objectifs qu’il s’était fixés au départ. Bien qu’il puisse être difficile de faire en sorte que l’objectif de perte de poids ne soit pas qu’un nombre sur le pèse-personne, se concentrer sur l’amélioration des résultats et des comportements liés à la santé peut entraîner une satisfaction et une acceptation plus réalistes du traitement choisi, ce qui devrait se traduire par une meilleure réussite à long terme.
(Objectifs: discuter des avantages de la thérapie nutritionnelle médicale et de l’activité physique et examiner les trois piliers de la prise en charge de l’obésité, soit l’intervention psychologique, la pharmacothérapie et la chirurgie bariatrique)
Les Lignes directrices canadiennes de pratique clinique de l’obésité chez l’adulte de 2020 mettent en évidence trois piliers de la prise en charge de l’obésité qui reposent sur le traitement ciblé de la physiopathologie de l’obésité, concentré surtout dans le cerveau. Ces trois piliers sont le traitement psychologique, la pharmacothérapie et la chirurgie bariatrique (Figure 5). Dans le passé, les fournisseurs de soins de santé conseillaient aux patients de ne concentrer leurs efforts que sur l’alimentation et l’exercice pour perdre du poids, mais des travaux de recherche montrent que la plupart des patients vivant avec l’obésité sont réfractaires aux interventions comportementales seules à cause des adaptations hormonales et métaboliques que subit l’organisme pour défendre son poids le plus élevé. Des données probantes sur la biologie et la génétique de l’obésité permettent de mieux comprendre que l’obésité est un état pathologique dont l’étiologie est complexe et qui est surtout ancré profondément dans les processus cérébraux qui régissent l’appétit et le métabolisme. Les sujets atteints d’obésité montrent souvent une dysrégulation de l’appétit et sont donc susceptibles de dépasser leur apport calorique par l’intermédiaire de puissants facteurs biologiques liés à la faim, à la diminution de la satiété et au désir. Par conséquent, le paradigme thérapeutique s’est éloigné de l’approche prescriptive de l’alimentation et de l’exercice pour se tourner vers des traitements qui mettent l’accent sur le renforcement de notre capacité à respecter la thérapie nutritionnelle médicale et la pratique d’activité physique en traitant les mécanismes d’adaptation de nos jours dysfonctionnels de l’organisme à l’aide des trois piliers de la prise en charge de l’obésité.
Figure 5. Les trois piliers de la prise en charge de l’obésité (Wharton et coll. CMAJ, 4 août 2020 192 (31) E875-E891; DOI: https://doi.org/10.1503/cmaj.191707).
La thérapie nutritionnelle médicale est prodiguée le plus souvent par des nutritionnistes et comporte l’auto--surveillance de la prise alimentaire et la personnalisation d’un plan de nutrition pour permettre la perte de poids et améliorer les paramètres de santé des personnes (p. ex., régulation glycémique et pression artérielle). Un déficit calorique facilitera la perte de poids et ne devrait être justifié que s’il repose sur les préférences du patient et qu’il tient compte des recommandations alimentaires relatives aux micronutriments et aux macronutriments (à cause des risques pour la santé des os et des muscles). Il ne faut pas oublier que la prescription d’une restriction calorique seule entraîne généralement le déclenchement de facteurs physiopathologiques qui facilitent la reprise du poids. Par conséquent, le patient doit trouver des habitudes alimentaires durables qu’il peut respecter de façon réaliste à long terme. Ce sujet est abordé plus en détail plus loin (question 9).
L’activité physique n’a qu’un effet modeste sur la perte de poids, mais elle est essentielle à la préservation de la masse musculaire maigre pendant la perte de poids et est importante pour améliorer les résultats relatifs au maintien du poids. Il a été montré que l’augmentation de la masse musculaire maigre et de la pratique d’activité physique atténue la baisse du taux métabolique que l’on constate avec la perte de poids. L’exercice a également montré à maintes reprises qu’il procure un bénéfice parmi d’autres paramètres importants liés à la qualité de vie, comme une amélioration de l’humeur, du sommeil, de la cognition, de la santé cardiorespiratoire et des paramètres métaboliques, même en l’absence d’une perte de poids. Il faut insister sur ces objectifs précis qui ne portent pas sur le poids pour aider le patient à rester motivé à long terme. La recommandation de pratiquer une activité physique d’intensité modérée de 30 à 60 minutes la plupart des jours de la semaine est une cible à atteindre, toutefois, il est important de comprendre les limites de nombreux patients atteints d’obésité dans leur capacité à faire de l’exercice au départ pour établir des objectifs réalistes et diminuer la stigmatisation liée à l’obésité.
Le premier pilier de la prise en charge de l’obésité est l’intervention psychologique. L’un des objectifs fondamentaux du traitement psychologique est de pouvoir parvenir à maintenir des changements de comportement à long terme qui sont nécessaires pour traiter l’obésité en tant que maladie chronique. Il est important pour le clinicien et le patient de discuter de la perte de poids moyenne des différentes options thérapeutiques avant d’entreprendre un traitement pour favoriser des attentes et des prises de décision réalistes. La plupart des patients veulent atteindre un poids beaucoup plus faible que ce qu’il est réaliste d’obtenir avec les options thérapeutiques offertes actuellement qui sont sûres et efficaces pour une perte de poids à long terme. Nous savons qu’il est peu probable que des comportements ou des traitements très restrictifs de courte durée réussissent à faire maintenir un poids plus faible à long terme. Tout traitement de l’obésité doit se poursuivre à long terme, sinon, le risque de reprise pondérale est probable. La thérapie comportementale (grâce à la thérapie cognitivo-comportementale) confère une perte de 5% à 10% du poids corporel (mais peut facilement donner lieu à une reprise pondérale après un an à cause des processus biologiques décrits plus loin). La pharmacothérapie contre l’obésité confère une perte de 5% à 15% du poids corporel et la chirurgie bariatrique une perte de 20% à 40% du poids corporel. Fait à noter, la conversation sur les attentes doit avoir lieu souvent, surtout si le patient choisit une voie thérapeutique plus conservatrice, comme celle de seulement apporter des changements au mode de vie, et ressent de la frustration de ne voir aucun progrès en ce qui a trait à la perte de poids, ce qui peut au bout du compte engendrer des pensées négatives concernant ses capacités de réussir à perdre du poids.
L’impuissance acquise est un phénomène courant chez les patients vivant avec l’obésité après qu’ils aient raté plusieurs tentatives de changements de comportement seulement par l’alimentation et l’exercice. L’acceptation de son impuissance conduit souvent le patient à abandonner des comportements qui pourraient être bénéfiques à sa santé, ce qui peut entraîner une prise ou une reprise de poids progressive et une aggravation des résultats sur la santé. Un autre objectif clé des interventions psychologiques dans le traitement de l’obésité est d’encourager l’auto-efficacité du patient, soit les croyances innées de la personne qui font en sorte qu’elle peut atteindre ses objectifs. Un counseling comportemental efficace dans la prise en charge de l’obésité est guidé par les principes de l’entretien motivationnel et la thérapie cognitivo-comportementale, et un chapitre lui est consacré dans les Lignes directrices canadiennes de pratique clinique de l’obésité chez l’adulte de 2020, et il s’avère un guide utile pour les médecins pratiquant en solo (Figure 6). Des éléments de l’entretien motivationnel et de la thérapie cognitivo--comportementale peuvent être effectués par tout professionnel de la santé en invitant le patient à en apprendre sur l’obésité en tant que maladie chronique pour réfuter d’anciennes croyances ancrées dans les préjugés liés au poids (« Je devrais être capable de le faire par moi-même. ») et en l’aidant à se fixer des objectifs atteignables qui sont directement liés à ses propres valeurs associées à la santé au lieu d’un objectif de perte de poids. La thérapie cognitivo-comportementale repose sur la prémisse que les pensées automatiques conduisent à des comportements automatiques mésadaptés qui deviennent des habitudes au fil du temps. Les deux principaux processus cognitifs mis en évidence sont la restriction cognitive et la résilience cognitive. Le clinicien peut utiliser de brèves interventions de restructuration cognitive en invitant le patient à examiner les situations où il est plus susceptible de se suralimenter ou d’être plus sédentaire et à lui faire reconnaître et remettre en question des processus de pensée ou des croyances nuisibles (appelés aussi « pensées permissives ») qui précèdent le comportement automatique dans un effort qui entraîne une restriction au lieu de se résigner et d’abandonner. Par exemple, « Y a-t-il des moments au cours de la journée où vous êtes plus vulnérable à un apport calorique excessif qui n’est pas prévu… et y a-t-il des processus de pensée automatique qui provoquent ce comportement? ». L’entretien motivationnel peut aider le patient à établir des valeurs précises qui lui paraissent les plus importantes pour orienter ses décisions sur des comportements qu’il aimerait adopter en appui à ses valeurs. Par exemple, le fait de demander au patient de répondre à la question « quelles sont les raisons pour lesquelles la perte de poids est importante pour votre santé? » et de lier les valeurs à son contre dialogue en réponse à la pensée automatique est plus efficace que la seule volonté pour répondre aux pulsions alimentaires attribuables à la résignation passée lors de ces moments de désir. Le clinicien peut cultiver la résilience cognitive chez le patient en étant à l’écoute des préjugés intériorisés liés au poids lors de revers, comme un épisode de suralimentation, l’atteinte d’un plateau ou une insatisfaction de l’image corporelle (aussi appelé avec justesse la « pensée auto-critique ») et en le renseignant sur les fondements biologiques de l’excès de poids et de l’obésité en tant que maladie chronique. Cela sert à remplacer les sentiments négatifs d’auto-culpabilité qui sont souvent une cause du manque de motivation à maintenir un comportement sain à long terme.
Figure 6. Modèle pour le médecin pratiquant en solo – Interventions psychologiques et comportementales effi caces dans la prise en charge de l’obésité, Lignes directrices canadiennes de pratique clinique de l’obésité chez l’adulte.
La pharmacothérapie contre l’obésité est une option thérapeutique prometteuse pour les patients vivant avec l’obésité. La plupart des gens vivant avec l’obésité seront réfractaires au traitement par seulement l’alimentation et l’exercice pour perdre du poids à long terme, comme le montrent plusieurs essais menés sur la perte de poids à long terme. La prescription désuète de « manger moins et bouger plus » ne s’attaque pas aux fondements biologiques sous-jacents de l’excès de poids qui sont souvent caractérisés par des processus de dysrégulation de l’appétit qui surviennent dans le système nerveux central. Les facteurs homéostatiques et hédoniques sont les principaux facteurs du comportement alimentaire et pour qu’il y ait une réussite à long terme, ils devraient être les principales cibles de l’intervention visant la perte de poids. L’alimentation homéostatique découle des signaux de faim provenant de la principale hormone orexigène, la ghréline, et des signaux de satiété provenant de plusieurs hormones anorexigènes, dont la leptine, le peptide YY, l’oxyntomoduline, l’insuline et le GLP-1. L’alimentation hédonique est caractérisée par la consommation d’aliments pour le plaisir, et se situe principalement dans le mésencéphale, où le centre mésolimbique de la récompense communique avec des structures adjacentes qui modulent le plaisir et le désir des aliments agréables au goût. En consommant des aliments ultratransformés, des opioïdes et la dopamine qui en résulte sont libérés pour favoriser le plaisir, la motivation et l’assimilation. La documentation scientifique portant sur la génétique de l’obésité révèle que les sujets atteints d’obésité possèdent des phénotypes alimentaires variables résultant des variations de centaines d’allèles qui influencent la répartition du tissu adipeux, l’appétit et le métabolisme. Une régulation anormale du système homéostatique de l’appétit est caractérisée par une difficulté à atteindre la satiété et peut se manifester chez des patients qui se décrivent comme « ayant toujours la sensation d’avoir faim » ou « ayant besoin de plus de nourriture pour se sentir rassasiés ». Des phénotypes vulnérables à l’excitation du facteur hédonique peuvent se caractériser par des problèmes de « fringales » ou une sensibilité accrue à la nourriture ou aux stimulus qui y sont associés. Globalement, une atteinte des facteurs homéostatiques ou hédoniques, ou des deux, favorisera un apport calorique excessif pouvant se traduire par une prise excessive de poids.
Le deuxième pilier de la prise en charge de l’obésité est la pharmacothérapie. Ce sujet est abordé en détail dans la deuxième partie du présent supplément. Veuillez vous reporter à la question 1 de la deuxième partie pour examiner en détail la pharmacothérapie.
Le troisième pilier de la prise en charge de l’obésité est la chirurgie bariatrique. À ce jour, il s’agit de l’intervention la plus efficace pour obtenir une perte de poids durable dans le traitement de l’obésité sévère. Les critères cliniques d’admissibilité à la chirurgie reposent sur un IMC supérieur à 40 ou un IMC supérieur à 35 avec affections comorbides liées à l’obésité. Les interventions de référence offertes actuellement sont la dérivation gastrique de type Roux-En-Y et le manchon gastrique (Figure 7). Ces deux types d’intervention chirurgicale détournent le passage des aliments vers l’intestin et modifient la transmission des signaux neuroendocrines entre le cerveau et l’intestin qui régule l’apport énergétique et la régulation glycémique. On les considère comme étant des interventions dites de malabsorption et de restriction, ces caractéristiques étant plus prononcées dans le cas de la dérivation gastrique. Par conséquent, le patient peut s’attendre à une diminution de l’appétit après l’opération et à une diminution des affections comorbides, dont la résolution du diabète de type 2, de l’hypertension, de la dyslipidémie, de la stéatose hépatique non alcoolique, de l’apnée obstructive du sommeil et de l’infertilité, à une diminution du risque d’insuffisance cardiaque et, au bout du compte, à une amélioration de la qualité de vie. Fait à noter, une reprise de poids peut toujours survenir après une chirurgie bariatrique, ce qui montre la complexité de l’obésité en tant que maladie chronique et justifie une surveillance régulière de l’appétit et du comportement alimentaire du patient après l’opération.
Figure 7. Différents types de chirurgies bariatriques. Chirurgie bariatrique : options chirurgicales et résultats – Lignes directrices canadiennes de pratique clinique de l’obésité chez l’adulte.
(Objectif: clarifier le rôle du nutritionniste, comprendre la TNM et le rôle des différents régimes alimentaires)
La thérapie nutritionnelle médicale (TNM) pour la prise en charge de l’obésité est une approche fondée sur des données probantes de la consultation en diététique qui personnalise le plan alimentaire du patient selon ses « préférences et ses objectifs qui sont acceptables sur le plan culturel, abordables et durables », afin de permettre une perte de poids, d’améliorer les problèmes de santé et de réduire le risque de complications. Un guide exhaustif sur l’utilisation de la TNM se trouve dans les Lignes directrices canadiennes de pratique clinique de l’obésité chez l’adulte de 2020. Rappelons-nous que l’obésité se définit comme étant une maladie chronique où l’excès d’adiposité nuit à la santé. Par conséquent, les recommandations alimentaires transmises au patient devraient mettre l’accent sur des façons d’améliorer sa santé globale, la perte de poids et la diminution de l’IMC comptant parmi les nombreux résultats souhaités, sans oublier la diminution du tour de taille, des lipides et de la pression artérielle et la régulation glycémique. La Figure 8 présente les diverses approches alimentaires et leurs avantages cliniques. Avoir une compréhension globale des multiples régimes alimentaires qui peuvent améliorer des cibles métaboliques précises peut aider le patient à choisir des approches alimentaires qui appuieront l’observance à long terme. Par exemple, le régime alimentaire méditerranéen améliore la régulation glycémique, les HDL et l’hypertriglycéridémie, diminue les évènements cardiovasculaires et le risque de développer le diabète de type 2, mais a peu d’effet sur le poids, à moins de maintenir un déficit calorique. Plus récemment, on a assisté à davantage de tourmentes dans la guerre des régimes alimentaires quant à la composition en macronutriments des divers régimes, et les données probantes démontrent que la perte de poids est semblable entre les plans alimentaires faibles en gras et ceux faibles en glucides. Toutefois, il faut tenir compte des affections comorbides et des préférences du patient lorsque l’on privilégie un plan alimentaire au détriment de l’autre. Le patient peut perdre du poids si l’approche alimentaire parvient à un déficit calorique. Toutefois, la réponse est très hétérogène d’une personne à l’autre, ce qui fait ressortir l’importance d’un plan personnalisé qui est durable.
Figure 8. Résumé des résultats cliniques des interventions nutritionnelles et de la thérapie nutritionnelle médicale dans la prise en charge de l’obésité − Lignes directrices canadiennes de pratique clinique de l’obésité chez l’adulte.
Dans un contexte plus général, une tentative pour s’écarter de la prescription d’une restriction calorique seule est confirmée par des études révélant que les régimes alimentaires restrictifs montrent systématiquement une efficacité à court terme et que la plupart des patients reprendront le poids perdu à cause de l’adaptation métabolique et des modifications des hormones de l’appétit. La reprise du poids vécue par le patient entraîne des conséquences psychologiques pouvant également susciter des sentiments négatifs par rapport à sa capacité à garder sa motivation dans son changement de comportement lié au poids et produire un sentiment d’impuissance acquise. Ce préjugé intériorisé lié au poids est un facteur de risque indépendant pour la reprise de poids, et l’aggravation des résultats sur la santé plus tard au cours de la vie illustre l’importance d’un counseling habile sur la nutrition et d’attentes réalistes quant aux résultats des interventions comportementales.
Il est judicieux de diriger les patients vers un nutritionniste pour la TNM. Les personnes vivant avec l’obésité courent un risque accru de carences nutritionnelles, notamment celles en vitamine D, en vitamine B12 et en fer. Les recommandations que nous fournissons pour traiter l’excès de poids peuvent provoquer une malnutrition et des carences en micronutriments (p. ex., les médicaments qui freinent l’appétit et réduisent considérablement l’apport calorique et la chirurgie bariatrique qui est une intervention dite de malabsorption et de restriction). Enfin, les personnes qui sont soumises à une perte de poids risquent de subir une perte de masse musculaire maigre qui est associée au ralentissement du métabolisme et à une réduction de la force et de la fonction musculaire en général. Cette situation est particulièrement préoccupante chez les populations âgées qui présentent déjà un risque de malnutrition et de sarcopénie. Par conséquent, tous les patients atteints d’obésité peuvent tirer profit de la TNM grâce à la promotion des connaissances en nutrition et à la surveillance de la qualité de l’alimentation. Les patients qui auraient davantage besoin d’un aiguillage sont ceux présentant un comportement alimentaire perturbé, ceux atteints d’affections comorbides liées à l’obésité (p. ex., le patient atteint de diabète de type 2 insulinodépendant et qui prend des médicaments contre l’obésité), ceux chez qui l’apport calorique est insuffisant (moins de 1200 calories par jour), ceux présentant un risque de développer un trouble alimentaire et ceux qui ont peu de connaissances en nutrition ou qui n’ont jamais participé à un programme structuré de gestion du poids. Fait à noter, la TNM n’est pas réglementée au Canada et devrait être prodiguée par des nutritionnistes pour diminuer les risques de désinformation sur la nutrition et d’atteintes à la santé physique ou mentale.
(Objectif: savoir quel type de patient adresser à un spécialiste et à quel moment)
La prévalence de l’embonpoint et de l’obésité au Canada est d’environ 60% de la population adulte. On doit donc s’attendre à ce que la plupart des spécialités en médecine se trouvent en présence de patients ayant un excès de poids. L’obésité a toujours été perçue comme étant un facteur de risque lié à d’autres maladies chroniques, ce qui peut faire ombrage au fait qu’il s’agit d’un état pathologique en lui-même qui justifie un traitement fondé sur des données probantes. Le counseling sur le mode de vie constitue souvent la pierre angulaire du traitement de l’obésité, mais des recherches montrent que seulement 23% des patients recevant seuilement un counseling comportemental perdront 10% de leur poids corporel en trois ans. On pourrait faire valoir qu’un taux de réussite de 23%, ou, à l’inverse, un taux d’échec de 77%, représente une intervention dont l’efficacité est peu élevée. Le counseling sur le mode de vie a sa place, et lorsqu’il est fait de manière appropriée, sans jugement ni préjugés, il constitue une partie importante du traitement. Toutefois, comme dans le cas d’autres maladies chroniques, telles que l’insuffisance cardiaque congestive ou le diabète de type 2, nous limitons rarement le traitement au counseling sur le mode de vie seulement et amorçons ou intensifions souvent le traitement de manière appropriée. Par conséquent, il est approprié que la plupart des médecins connaissent bien les traitements offerts contre l’obésité et traitent les patients ou les adressent à un spécialiste de l’obésité s’ils le jugent approprié.
Les fournisseurs de soins primaires et les internistes se trouvent dans une position unique pour traiter l’obésité compte tenu du grand nombre de cas qu’ils voient et qui sont liés à cette maladie chronique. Pour obtenir de meilleurs résultats sur la santé à long terme, il est préférable de traiter l’obésité plus tôt au cours de la maladie, comme c’est le cas pour la plupart des autres maladies chroniques, le seuil auquel devrait se tenir la discussion sur les options thérapeutiques offertes devrait donc être bas. Des travaux de recherche révèlent que seulement 24% des personnes atteintes d’obésité obtiennent des soins de suivi après une première consultation, ce qui souligne la nécessité d’un appel à l’action. Ces mêmes travaux montrent que dans la pratique, le manque de temps et des préoccupations et des problèmes plus importants constituent les raisons les plus souvent citées pour expliquer l’incapacité de fournir aux patients des soins liés à l’obésité. En outre, les médecins ont également exprimé le manque d’assurance dans l’utilisation de la pharmacothérapie, le manque d’accès à des ressources et les obstacles financiers liés au traitement pour les patients.
Bien qu’il n’existe à l’heure actuelle aucune ligne directrice officielle pour guider les médecins sur le moment où il doit adresser un patient à un spécialiste de l’obésité, la plupart des experts seraient d’avis que l’EOSS est un outil clinique qui pourrait s’avérer un guide utile. Étant donné le degré élevé d’obésité chez notre population de patients, il est important de sélectionner le bon patient à adresser au spécialiste. Pour que les patients soient vus en temps opportun et pour diminuer les listes d’attente pour consulter un spécialiste, les patients présentant un risque plus faible devraient idéalement être traités en milieu de soins primaires. L’EOSS évalue le risque pour la santé des patients lié au poids et tient compte de leurs affections comorbides liées au poids; cela permet d’utiliser une approche ciblée et fondée sur des données probantes pour traiter le trouble du patient par rapport à son excès de poids au lieu de ne traiter que le poids et l’IMC. L’EOSS tient compte de tous les paramètres cliniques de la santé de la personne, y compris la santé psychologique, mécanique et médicale et peut être largement utilisé comme outil pour sélectionner les patients qui peuvent tirer profit d’un aiguillage. Les patients présentant une obésité de stade 1 ou 2 selon l’EOSS se trouvent au bas de l’échelle de gravité, tandis que ceux présentant une obésité de stade 3 ou 4 sont gravement malades et peuvent tirer grand profit d’une orientation vers un spécialiste de l’obésité s’ils sont ouverts à cette option.
Les spécialistes de l’obésité peuvent travailler dans divers milieux allant de la pratique en solo au milieu multidisciplinaire qui pourrait comprendre, mais sans s’y limiter, des nutritionnistes, des éducateurs bariatriques, des psychologues, des travailleurs sociaux, des entraîneurs physiques et autres spécialistes (comme un psychiatre). Lorsqu’un patient est adressé à un médecin spécialiste de l’obésité, ce dernier établira l’option thérapeutique appropriée qui peut comprendre une thérapie comportementale, des médicaments, une intervention chirurgicale ou plus probablement, une combinaison d’interventions possibles. Au lieu de mettre l’accent uniquement sur la perte de poids, l’objectif sous--jacent des programmes de gestion de poids éthiques sera de soutenir les patients dans l’amélioration de leur santé en les aidant à atteindre leur meilleur poids, soit le poids auquel leur corps se stabilisera naturellement tout en adoptant un mode de vie sain qui est durable.
Bien qu’il n’y ait pas qu’un seul facteur servant à déterminer à quel moment le médecin devrait adresser le patient à un spécialiste, voici certaines situations uniques à considérer:
le traitement de l’obésité dépasse le niveau de confort du médecin;
le patient a reçu un diagnostic récent d’obésité ou a pris du poids rapidement;
le patient est réfractaire aux interventions offertes au départ, comme le counseling sur le mode de vie ou les médicaments;
le patient montre une perte de contrôle complexe ou grave relative à la suralimentation;
le patient prend activement du poids ou connaît une prise de poids aiguë;
le patient envisage une chirurgie bariatrique;
le patient a déjà subi une chirurgie bariatrique et reprend du poids;
le patient présente des complications attribuables à l’obésité;
la perte de poids est exigée avant de subir une intervention chirurgicale ou des actes médicaux comme une fécondation in vitro.
1. Canadian Adult Clinical Practice Guidelines. Obesity Canada. Consulté le 8 novembre 2022. Accessible à l’adresse: https://obesitycanada.ca/guidelines/chapters
2. Chetty VT, Poddar M, Tran S, Prebtani APH. Obesity: General Considerations. McMaster Textbook of Internal Medicine. Kraków: Medycyna Praktyczna. Accessible à l’adresse: https://empendium.com/mcmtextbook/chapter/B31.II.24.4.1. Consulté le 8 novembre 2022.
3. Ressources d’Obésité Canada. [Internet]. Accessibles à l’adresse: https://obesitycanada.ca/resources/